Un château injustement éclipsé par Versailles
Conservateur du château de Fontainebleau de 1905 à 1930, Georges d’Esparbès était l’auteur de livres sur Napoléon qui relevaient plus de la littérature populaire que de l’histoire. Quand il faisait visiter les appartements, il prétendait qu’un Américain lui avait offert deux millions pour un guéridon sur lequel l’Empereur, en 1814, avait signé son abdication. « Comme poète, répétait-il, je suis bonapartiste, comme homme raisonnable, je suis bien entendu monarchiste, et comme conservateur du château de Fontainebleau, il me faut bien être républicain. » Tous les matins, il ouvrait sa fenêtre en s’écriant : « Mort à l’Anglais ! » Voilà un personnage qu’on aurait aimé rencontrer…
Les actuels responsables du château de Fontainebleau sont plus sages, mais aussi plus savants. Jean-François Hebert, le président de l’Etablissement public qui préside aux destinées du palais, s’est adjoint le concours de l’historien Thierry Sarmant, conservateur en chef au musée Carnavalet, pour décrire l’histoire du château non pas sous l’angle de l’histoire de l’art, mais comme un prisme révélant « mille ans d’histoire de France ». Fontainebleau possède en effet sur Versailles l’avantage de l’ancienneté. Les auteurs nous conduisent donc à grands traits du Moyen Age à nos jours.
Philippe le Bel naît à Fontainebleau, Saint Louis s’y retire pour prier, François Ier y fait venir les plus brillants artistes de son temps. C’est ici que Louis XIII récompense des chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit, que Louis XIV loge la reine Christine de Suède, qui y fait assassiner son ancien amant, que Louis XV se marie, que Louis XVI chasse et que Marie-Antoinette joue aux cartes toute la nuit. La Révolution et le Consulat installent un lycée dans le château, que Napoléon rénove, et où il retient Pie VII prisonnier. En 1861, la réception des ambassadeurs du Siam par Napoléon III rappelle le faste d’autrefois.
Belle endormie au XXe siècle, la résidence nationale est réveillée de sa torpeur par de Gaulle et Malraux, et s’enrichit en 1986 de collections léguées par le prince Napoléon. Monarchie, Empire, République : Fontainebleau ou l’histoire d’une « longue sédimentation ».
Jean Sévillia
Fontainebleau, mille ans d’histoire de France, de Jean-François Hebert et Thierry Sarmant, Tallandier, 446 p., 22,90 €.